dimanche 27 février 2022

Évasion de la prison d’Iran – Massoumeh Raouf Basharidoust

 par Jean-Philippe GUIRADO sur 


Massoumeh Raouf a dix-sept ans en 1979, lorsque la révolution chasse Mohammad Reza Chah Pahlavi du pouvoir. Comme des millions de jeunes gens de son âge, elle croit que son pays est sur le point de vivre une nouvelle ère de liberté, de démocratie et de justice sociale. Mais ses espoirs sont vite déçus par l’arrivée des mollahs et de leur chef, l’Ayatollah Khomeini. L’Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran (OMPI), créée par des universitaires en 1963 et dont les actions ont contribué à la chute de la monarchie, est désormais considérée comme les nouveaux ennemis du régime. Menée par Massoud Radjavi, son charismatique leader de 32 ans, l’OMPI s’oppose à la vision intégriste de l’islam défendue par les mollahs. Dans une société post-révolutionnaire en proie à la désunion, l’auteure est obligée de prendre position :

À cette époque, c’était pour moi la plus grande décision de ma vie d’avoir à choisir de quel côté je voulais être […] Si je choisissais Khomeini, j’aurais dans l’ensemble une vie sans problème […] Si je choisissais les Moudjahidines, je m’engageais dans un combat dangereux et implacable. Un combat pour la liberté qui demandait une volonté de fer, mais qui en avait aussi toute la saveur.

Face à ce dilemme, Massoumeh Raouf choisit finalement la lutte. Elle suit des cours de formation politique, notamment l’enseignement philosophique de Massoud Radjavi. Elle n’ignore pas les risques. Son petit frère Ahmad, sympathisant de l’OMPI, a déjà été arrêté et torturé par des miliciens à la solde du régime. À cette époque, les désaccords politiques se manifestent à l’intérieur même des familles. L’auteure reçoit toutefois le soutien de sa mère qui participe avec elle à certains rassemblements de contestation qui ne sont pas encore interdits. Mais tout change à partir du déclenchement de la guerre Iran-Irak, en septembre 1980 :

Sous prétexte de guerre avec un ennemi étranger, l’espace des activités politiques se resserre de jour en jour. Les forces de répression s’installent avec vigueur. Seuls les plus courageux osent braver les rues.

Le 20 juin 1981, une manifestation pacifiste à Téhéran se termine en bain de sang. Khomeini fait tirer sur la foule arguant que les Moudjahidines et leurs sympathisants sont des « Mohareb », c’est-à-dire des « ennemis de Dieu ». En vertu du code la charia, alors en vigueur, toute personne accusée d’être « Mohareb » risque la peine de mort. Pour poursuivre ses activités militantes au sein de l’OMPI, Massoumeh Raouf n’a d’autre choix que de vivre dans la clandestinité. Mais en septembre 1981, la jeune femme se fait arrêter au coin d’une rue par des Pasdarans, les Gardiens de la Révolution. Emprisonnée, elle subit de multiples interrogatoires et séances de tortures, dont le récit glaçant laisse le lecteur sans voix. Comme dans les témoignages des rescapés des camps de concentration ou ceux des victimes de la guerre d’Algérie, on est frappé encore une fois, par la barbarie dont des hommes peuvent faire preuve à l’égard de leurs semblables. Chaque jour, des prisonniers sont fusillés. Arrive enfin le procès mené par un juge de la charia. Massoumeh Raouf n’a pas d’avocat pour assurer sa défense et l’audience est bouclée en dix minutes. Si elle échappe au peloton d’exécution, c’est parce que les juges ignorent son identité véritable, et n’ont aucun témoin à charge :

Ils ne savaient pas quel était mon vrai nom, ils ne me connaissaient pas. Comme indiqué dans mon dossier, mon seul crime avait été de résister lors de mon arrestation et de mordre leur Pasdarans. J’ai donc été condamnée à 20 ans de prison. J’avais 20 ans.

On découvre ensuite le récit des huit mois de détention dans la sinistre prison de Racht, puis les circonstances de son évasion. Le témoignage de Massoumeh Raouf se lit comme un roman, mais à la différence d’un roman, on garde sans cesse à l’esprit que ce qui est relaté ici est vrai de bout en bout, rendant cette lecture d’autant plus émouvante. Au fil des carnets qui constituent la matrice de l’ouvrage, l’auteure rend hommage aux compagnes qui ont partagé sa cellule et aux militantes qui l’ont aidée à s’enfuir, dont la plupart ont perdu la vie lors du grand massacre des prisonniers politiques de 1988. Ces exécutions collectives, qui ont fait au moins 30 000 victimes – dont Ahmad, le frère de l’auteure – restent une page relativement méconnue de l’histoire récente de l’Iran.

Le monde est resté silencieux sur ces faits et, afin d’apaiser les ayatollahs, a fermé les yeux sur leur plus grand acte criminel. Aucune enquête internationale indépendante sur ces massacres n’a encore été menée.

Espérons que ce témoignage incitera les lecteurs occidentaux, et notamment les plus jeunes, à garder la mémoire de ces événements et à réfléchir sur les conséquences de l’extrémisme et du fanatisme, incarné ici par les mollahs, mais dont l’Histoire n’est jamais à l’abri de voir apparaître de nouveaux avatars…

Jean-Philippe GUIRADO
articles@marenostrum.pm

Raouf Basharidoust, Massoumeh, « Évasion de la prison d’Iran », Balland Éditions, « Documents », 10/02/2022, 1 vol, 18€.

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