jeudi 7 juillet 2022

Nouveau portrait du jour Massoumeh Raouf

 Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir Massoumeh Raouf Basharidoust

 

Bienvenue madame sur le très prisé et discret Culture et justice


Evasion de la prison d’Iran de Massoumeh Raouf.


C'est notre ami 
Christian Dorsan qui a réalisé l'interview pour notre page Culture et justice

Nantais d’adoption, originaire de la région de Bagnols sur Cèze, Christian Dorsan s’intéresse à la théosophie, le martinisme, tout ce qui gravite autour de l’essence de l’homme.

Il collabore au magazine "L’Indic". Après "Les saisons de l’Isthme" (Paulo Ramand, 2012), il fait parti des 68 nouveaux écrivains de la rentrée littéraire de 2015 avec "Papa, c'est encore loin quand je serai grand ?" publié chez Paul&Mike.

"Le quart d’heure bagnolais" (2017) est son premier polar.

son blog : http://taotesqui.over-blog.com/
page Facebook :
https://www.facebook.com/christian.dorsan

 

"L’Histoire est souvent anonyme. Il ne reste dans les manuels scolaires que des dates, des chiffres et des cartes. La mémoire collective souvent se débarrasse bien volontiers de ce qui est gênant ou lointain, l’humain est ainsi fait. Que reste-t-il alors de ceux qui ont disparu et dont la voix n’est plus audible, ceux qui deviennent invisibles dans les terribles chiffres des victimes ? L’Histoire immédiate a ses témoins et c’est pour continuer à porter le combat des oubliés, que Massoumeh Raouf raconte dans « Evasion de la prison d’Iran », ses mois d’internement dans les prisons des mollahs.
Les mollahs ont poursuivi et essayer d’éradiquer le mouvement des Moudjahidines du Peuple en Iran, cela s’est fait au prix d’arrestations arbitraires, de privations de liberté, de torture et d’exécutions de masse comme en 1988. La force de ce récit est de mettre des noms, des visages et surtout des itinéraires de ses codétenues et de leur destin tragique. Le livre de Massoumeh Raouf est un témoignage dur, sans filtre, d’une combattante qui n’a rien perdu de sa fougue et de sa combativité. Nous l’avons rencontré pour vous."


Est-ce douloureux de revenir près de quarante ans après sur ces événements ?                     

Bien sûr, remonter le temps et revoir mes souvenirs étaient très douloureuses. En plus écrire ce livre de certaines manières si intime et personnel n’était pas facile pour moi. C'était comme si toutes ces souffrances des années étaient ravivées. Mais cela va pour moi bien au-delà du seul témoignage. Je voulais rendre hommage à tous ceux que j'ai aimé et que ne sont plus là. Mais leurs résistances pour la liberté et lutte contre le régime des mollahs continu.

J’ai écrit aussi pour attirer l’attention de l’opinion publique sur les crimes contre l’humanité qui ont eu lieu en Iran, et qui se répètent encore aujourd’hui. Car le même régime est en place, les mêmes acteurs sont au pouvoir.

Qui aurait pensé que le boucher du massacre des prisonniers politiques deviendrait le président de l’Iran ? Ebrahim Raïssi, le nouveau président du régime, est un ultra conservateur qu’Amnesty International veut juger pour crime contre l’humanité. Raïssi était membre de la « commission de la mort » et l’un des principaux instigateurs. Ils enverront à la mort plus de 30 000 prisonniers politiques en 1988 dont mon frère.

Cette période noire de l'histoire contemporaine de l’Iran est restée méconnue dans l'opinion publique en Occident en raison de la politique de complaisance menée par les pays occidentaux vis-à-vis du régime des mollahs, et aussi du silence complice de l'ONU. Aucune enquête internationale indépendante sur ces massacres n’a encore été menée.

On sent en vous une âme résistante et combattante, comment gardez-vous cette hargne ?

Je suis croyante. Je crois à la justice et aux valeurs humaines. C’est universel. La volonté de celui qui croit en un idéal élevé et des valeurs humaines est infinie. Ce sont ces volontés qui changent le cours de l'histoire. Je trouve ma force dans cette résistance devant la barbarie du régime des mollahs. L'intégrisme au nom de l'islam est avant tout une insulte à mes convictions. En tant que femme musulmane progressiste, ce que font les fondamentalistes et les terroristes au nom de l’Islam me dégoûte.

Heureusement, je ne suis pas seul. J'appartiens à un courant politique et historique de l’Iran - Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran qui combat les régimes dictatoriaux du Shah et des mollahs depuis plus de cinquante ans. C'est une lutte collective qui est la source de notre force et de notre persévérance.

Tous les efforts et les effusions de sang versé pour la liberté n'ont pas été vains, et cela doit porter ses fruits. C'est le verdict de l'histoire. Il n'y a pas de dictature éternelle.

Il y a de très beaux portraits de vos codétenues, parler d'elles c'est pour ne pas les oublier ?

Chacune d’entre elles était un symbole de courage et de persévérance qui ont sacrifié leur vie pour la liberté. Sans leur soutien et leur coopération, je n'aurais jamais pu m'échapper de la prison des mollahs et être le narrateur de leurs souffrances et de leur résistance aujourd'hui. Je leur dois ma vie. Quand les pasdarans ont réalisé mon évasion, toutes les filles de la cellule ont été torturées et transférées dans diverses prisons. Beaucoup d’entre elles ont été exécutées dans le massacre des prisonniers politiques en 1988.

Il est de ma responsabilité et mon devoir de ne pas laisser les souvenirs de ces résistantes tomber dans l'oubli.

Votre jeune frère est très présent, on sent qu'il vous manque

Pour moi, Ahmed est toujours vivant. Il vit chaque instant en moi. La dernière fois que j’ai vu Ahmed, c’était deux jours avant mon arrestation, le 13 septembre 1981. Il avait 16 ans, et a été arrêté avant ma fuite, mais accusé de complicité dans mon évasion, de nouveau a été interrogé et torturé. Cela a pesé très lourd pour moi. Je raconte son histoire dans mon premier livre en français. Un livre de bande dessinée intitulé "Un petit prince au pays des mollahs". En écrivant son histoire, je voulais lui redonner vie pour toujours. Les héros ne meurent jamais.

Ahmed a été exécuté en 1988 avec 30 000 autres prisonniers politiques la majorité appartenant aux Moudjahidine du peuple d’Iran sur l’ordre et la fatwa de Khomeiny.

Pendant des années, je me suis demandé comment transmettre le message de ces milliers de jeunes qui ont sacrifié leur vie pour la liberté, notamment à ceux qui ont aujourd’hui l’âge qu’ils avaient à l’époque. Le parcours d’Ahmed est aussi celui de nombreux jeunes Iraniens de l’époque, une jeunesse habitée par des idéaux de liberté et de justice. Cet ouvrage est dédié à toutes les "roses rouges" de la Résistance. En racontant la vie d’Ahmed, je voulais dire qu’ils ne sont pas que des chiffres. Ce sont 30 000 vies brisées. Ce sont 30 000 héros.

Comment voyez-vous l'avenir de l'Iran .

L'avenir de l'Iran est lié à la résistance pour la liberté. Ce régime est la honte de l’humanité et ne tardera pas à s’effondrer. Il y a deux facteurs importants du conflit dans l’Iran d’aujourd’hui. D’un côté, le régime est à son plus faible niveau. De l’autre, la colère et le mécontentement du peuple sont à leur apogée. Le résultat de ces facteurs est le progrès et l’expansion de la Résistance organisée.

Et si le régime des mollahs tombe, il existe d’ores et déjà une alternative crédible : le Conseil national de la Résistance Iranienne (CNRI) qui est présidé par une femme formidable – Mme Maryam Radjavi. Elle possède un programme politique déjà défini qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Le CNRI milite en faveur d’élections libres permettant au peuple iranien de se choisir des représentants politiques dignes, à l’opposé de la dictature religieuse que nous subissons.


L’Histoire est parsemée de petites histoires, des trajectoires personnelles et de drames humains. Et quand la mémoire s’efface, il reste des livres comme celui-ci pour nous rappeler les heures sombres de l’humanité, une mise en garde contre la fragilité de la démocratie et la tentation de la dérive populiste qu’elle soit politique ou religieuse.
                                                             

      Evasion de la prison d’Iran , éditions Balland , 18€

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