L'Association Européenne des Étudiants en Droit de Sceaux (ELSA Sceaux) a organisé une table ronde percutante à l'occasion de la Journée internationale des écrivains en prison.
L'événement s'est tenu le mercredi 26 novembre 2025 de 18h à 20h en salle Imbert de la Faculté Jean Monnet à Sceaux (92330).
Les intervenants
Les échanges ont bénéficié de l'expertise de deux invités, dont les parcours soulignent l'importance de la liberté d'expression :
Mme Masoumeh Raouf : Ancienne journaliste et ex-prisonnière politique du régime des mollahs en Iran. Arrêtée en 1981 et condamnée à 20 ans de prison, elle est parvenue à s'échapper après seulement huit mois de détention. Le public a pu découvrir son histoire à travers son ouvrage, « Évasion de la prison d'Iran ».
Mr. Walid Bourouis : Journaliste et formateur en Éducation aux Médias et à l'Information (EMI). Diplômé de l'Institut de Presse et des Sciences de l'Information et de l'École Politique de Tunis, il intervient aujourd'hui auprès de publics variés, notamment en milieu scolaire et carcéral.
Les témoignages au cœur des débats
Les interventions et la session de questions-réponses ont été chaleureusement accueillies par les étudiants présents, qui se sont montrés très sensibles aux thèmes abordés.
Masoumeh Raouf a notamment livré un témoignage poignant sur la situation des écrivains incarcérés en Iran. Voici un extrait de son discours :
« Chers étudiants en droit,
Aujourd’hui, je veux attirer votre attention sur une situation très grave. Elle touche non seulement la littérature, mais aussi les bases du droit international des droits de l’homme. En Iran, écrire est devenu un acte dangereux aux yeux de l’État.
D’après un rapport récent sur le début de l’année 2025, la pression juridique et sécuritaire contre les écrivains et les poètes s’est fortement intensifiée. L’Iran est maintenant le deuxième pays au monde qui emprisonne le plus d’auteurs, et le premier pour les femmes écrivaines.
Quelques chiffres : en seulement quatre mois et demi, au début de 2025, au moins 19 écrivains et poètes ont été arrêtés ou convoqués sans raison valable. Et il ne s’agit pas de simples arrestations. Beaucoup subissent la torture, l’isolement prolongé, et parfois même des condamnations à mort.
Il faut aussi comprendre que ces événements ne sont pas nouveaux. Ils s’inscrivent dans des années de répression continue. De nombreux auteurs sont en prison depuis longtemps, simplement pour avoir pensé ou écrit.
Je pense à Golrokh Ebrahimi Iraee. Elle a été condamnée pour un roman sur la lapidation… un roman jamais publié, retrouvé seulement dans ses brouillons. C’est une violation totale de la liberté de conscience.
N’oublions pas non plus Baktash Abtin, poète et membre de l’Association des écrivains iraniens. Il est mort en détention, victime d’une négligence médicale volontaire. Son histoire montre qu’en Iran, une peine de prison peut se transformer en peine de mort.
Aujourd’hui, le cas le plus inquiétant est celui de Peyman Farah-Avar, un poète de Gilan, ma région, de la ville de Rasht. Le 6 avril 2025, il a été condamné à mort pour avoir écrit des poèmes et dénoncé la destruction de l’environnement.
C’est un précédent terrifiant : la liberté d’expression devient un crime passible d’exécution.
D’autres écrivains sont aussi lourdement punis :
Sarveh Pourmohammadi, écrivaine kurde, condamnée à 5 ans de prison.
Cinq écrivains à Abadan, condamnés ensemble à plus de 10 ans.
Faramarz Se-Dehi, membre de l’Association des écrivains, condamné à presque 2 ans pour « propagande » et « insulte au Guide suprême ».
En tant que juristes, vous devez voir les violations graves de la procédure. Je les ai moi-même subies :
Pas d’avocat : beaucoup n’ont pas le droit de choisir leur avocat, ce qui viole les normes internationales.
Accusations vagues : les tribunaux utilisent des termes flous comme « guerre contre Dieu », « propagande contre le régime » ou « insulte aux sacro-saints » pour criminaliser toute critique.
Torture : des poètes comme Mokhtar Alboushokeh et Adnan Abbadi ont été torturés si violemment que leur vie est aujourd’hui menacée, uniquement pour obtenir des aveux.
Pour conclure : ce qui se passe en Iran est une attaque contre la mémoire et la vérité d’un pays. Quand dire la vérité devient un crime puni de mort, le système judiciaire cesse d’être un système de justice : il devient un outil de répression. »


