Par Raphaëlle Duchemin, le 19 avril 2022 sur marcelle.media
« La seule chose qui me donnait de la
force, c’était les victimes. Je ne pouvais pas seulement penser à moi ou à mon
bonheur à ma vie et à ma famille. » © Cindy Suchareau
Elle a passé huit mois derrière les barreaux
puis deux ans en clandestinité. Massoumeh Raouf a réussi à fuir le régime des
mollahs. Réfugiée en France aujourd’hui, elle partage son histoire dans un
livre paru aux éditions Balland : « Évasion de la prison d’Iran »*. Un message
d’alerte, car dit-elle, « les mêmes ont repris le pouvoir aujourd’hui. »
Le 13 septembre , cela fera 41 ans que Massoumeh a été arrêtée par ceux
qu’elle nomme « les sbires
criminels de Khomenei ». Mais l’écrivaine se souvient
encore du moindre détail. Ce jour-là, la jeune femme qui militait aux cotés de
L’OMPI, -les Moujahidines du Peuple d’Iran- avait rendu visite à la famille
d’une de ses amies, Sousan, 19 ans, torturée, violée puis finalement exécutée
par les soldats du régime.
À l’époque, Massoumeh avait la lourde tâche de collecter les témoignages
des proches, d’amasser les documents et de récupérer des photos pour que les
morts ne tombent pas dans l’oubli. Un travail qui n’a duré que deux ou trois
mois, mais ces visages et ces noms la hantent encore aujourd’hui. C’est en
sortant de l’un de ces rendez-vous que Massoumeh a eu le sentiment que quelque
chose d’inhabituel se jouait.
Tout en avançant dans la rue, elle décide par précaution d’avaler les notes
qu’elle doit lire lors de la cérémonie en hommage à la défunte : un geste qui
va lui sauver la vie. « Je suis
tombée dans un piège tendu par les Pasdaran, la gestapo des mollahs. Tout le
quartier avait été encerclé. Ils m’ont demandé de partir avec eux à leur
quartier général, j’ai refusé et j’ai essayé de résister. Les gens sont venus
m’aider mais ils ont tiré en l’air et m’ont jetée de force dans la voiture.
L’enfer a un nom
« Le soir même –dit-elle– j’ai subi un interrogatoire musclé : mains liées, yeux
bandés, j’ai été torturée, fouettée, seulement parce qu’ils avaient un doute
sur mon appartenance à la résistance. »
Massoumeh ne cille pas et ajoute : « J’ai été condamnée pour ce doute à 20 ans de prison par
le juge de la charia. S’ils avaient été sûrs, ils m’auraient tuée. »
C’est alors que commencent huit longs mois de captivité. De la prison de
Sepah, Massoumeh est transférée à Racht, dans le nord du pays, dans la très
sécurisée prison d’Afsaran. Elle se retrouve dans une cellule de quatre mètres
sur six, où les filles s’entassent : « Nous
étions –écrit-elle carnet 8 –
entre 35 et 45 prisonnières regroupées ». Elle subit avec
ses compagnes de cellule les jeux morbides de ses tortionnaires. Dès le départ,
Massoumeh le confesse, elle n’a qu’une idée en tête, s’évader.
La fille de l’air
Alors qu’elle voit, une à une,
disparaître ses compagnes d’infortune emmenées au peloton d’exécution, qu’elle
entend le bruit des balles qui claquent dans la cour, Massoumeh élabore des
stratégies d’évasion. Avec quelques filles dignes de confiance, elle commence à
échafauder un premier plan, puis un deuxième pour fuir. Il en faudra un
troisième, bâti dans la précipitation, pour que l’évasion réussisse. Elle est
le cerveau, c’est donc elle qui est désignée par les autres pour se faire la
belle.
Massoumeh relate, carnet 17, comment
avec Nastaran et le soutien de ses sœurs, elles ont par une nuit de pleine lune
réussi à grimper le mur d’enceinte haut de quatre mètres, alors que par petits
groupes, les autres filles faisaient diversion en se rendant aux toilettes pour
occuper l’attention des gardiens.
Une fois libre, Massoumeh rejoint la clandestinité. Pendant deux années,
les familles amies de la résistance lui ouvrent leurs portes. « Tout le monde connaissait mon histoire,
sourit-elle. Celle d’une fille qui a fait un pied de nez
aux mollahs. »
Le prix à payer
Mais son évasion spectaculaire a aussi laissé des traces. « Toutes les filles de ma cellule ont été
transférées et beaucoup d’entre elles ont été exécutées », explique-t-elle.
Puis elle saisit une bande dessinée, « Un petit prince au pays des
mollahs ». Sur la couverture, le visage d’un ange aux boucles blondes et
aux yeux bleus. Massoumeh poursuit : « le régime
a torturé mon petit frère Ahmed pour complicité dans mon évasion, les mollahs
ont aussi arrêté ma mère ». Sa voix se brise. « Cela a pesé très lourd pour moi, souffle-t-elle
dans un sanglot. Est-ce que je devais continuer la
résistance ? Me rendre au régime ? J’avais une culpabilité en moi, mais
la seule chose qui me donnait de la force, c’était les victimes. Je ne pouvais
pas seulement penser à moi ou à mon bonheur à ma vie et à ma famille. »
Quitte à faire des sacrifices. « J’appartiens à
une génération qui est descendue dans la rue pour demander un Iran libre et
démocratique » explique Massoumeh.
L’exil
Une fois en France, elle recommence à noircir des pages : d’abord pour un
album BD qui retracer l’histoire de son jeune frère. Mais alors qu’elle est
invitée dans les salons du livre, les gens la questionnent. Elle raconte alors
le massacre de 1988. « Ils
étaient étonnés par mon récit car ils n’en avaient pas vraiment entendu parler
dans les médias français. Et quand je relatais mon histoire, ils voulaient
savoir ce qui m’était arrivé. »
C’est la raison pour laquelle
Massoumeh choisit de se remettre à l’écriture : elle a déjà une partie de
ses mémoires en persan. Elle décide de continuer à coucher ses souvenirs sur le
papier, mais en français cette fois.
En attendant la
justice
Cela va pour Massoumeh bien au-delà du seul témoignage : « Je n’ai vécu que huit mois dans les cachots des mollahs
iraniens, pourtant il me semble que j’y ai passé presque toute ma vie, confie-t-elle. J’ai écrit aussi pour attirer l’attention de l’opinion
publique sur les crimes contre l’humanité qui ont eu lieu en Iran, et qui se
répètent encore aujourd’hui. Car le même régime est en place, les mêmes acteurs
sont au pouvoir. »
Et puis Massoumeh veut croire qu’un jour elle retournera chez elle-même si
elle sait qu’il faudra d’abord faire tomber les intégristes. « Dans tous les régimes répressifs, les premières cibles
sont les femmes. Regardez en Afghanistan avec les talibans ou avec Daesh, explique-t-elle.
Derrière ses lunettes, un éclair illumine ses yeux puis un sourire se dessine
sur ses lèvres. Massoumeh relève le menton et nous regarde, emplie
d’espoir : « C’est pour
ça qu’il y a une motivation plus forte chez les femmes pour avancer pour la
liberté ». Sa plume est aujourd’hui dans ce combat sa meilleure
arme. ♦
*« Évasion de la prison d’Iran ». Massoumeh Raouf.
Ed Balland. Février 2022. 200
pages. 18 euros.
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