par Arthur PUYBERTIER
Ancienne journaliste et ex prisonnière en Iran, Massoumeh Raouf a été “témoin des injustices du régime" et a refusé de se taire, ce qui lui valu "une condamnation à 20 ans de prison".
Aujourd'hui , elle défend "les droits fondamentaux de mon peuple, malgré l’exécution de mon frère Ahmad".
Exilée depuis son évasion, Massoumeh Raouf apporte pour MØNEO un témoignage précieux sur une époque pas encore révolue : celle de l'autoritarisme du régime iranien.
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Pourriez-vous vous présenter ?
Je suis Massoumeh Raouf, ancienne journaliste et ex-prisonnière politique iranienne. J’ai été témoin des injustices sous le régime des mollahs et j’ai refusé de me taire, ce qui m’a valu une condamnation à 20 ans de prison. J’ai décidé de défendre les droits fondamentaux de mon peuple, malgré l’exécution de mon frère
cadet Ahmad. Je lui rends hommage avec la bande dessinée Un petit prince au pays des mollahs.
Aujourd’hui, je suis exilée. J’ai réussi à m’évader au bout de 8 mois, ce que je relate dans mon ouvrage Évasion de la prison d’Iran paru en 2022.
Qu’est-il arrivé à votre frère, et aux autres victimes du régime iranien ?
Mon frère et moi sommes de la génération de la révolution de 1979, désireuse de mettre fin à la répression et à l’injustice sociale. Après la victoire de la révolution, Khomeini, le Guide suprême, a rapidement révélé un visage réactionnaire et autoritaire en réprimant les voix dissidentes.
Le seul mouvement qui osait contester Khomeini était celui des Moudjahidines du peuple d'Iran (OMPI). Khomeini les a désignés comme « ennemis de Dieu » et plus de 120 000 exécutions ont suivi. Parmi elles, mon frère.
Cette période est-elle reconnue comme un génocide ?
Le rapporteur des Nations unies a déclaré que les « crimes atroces » commis à cette période constituaient des crimes contre l’humanité et un génocide.
Le régime iranien ne peut rester impuni. Mais l’inaction de la communauté internationale a permis la poursuite d’atrocités comme les massacres de manifestants de 2019 et 2022.
A-t-il été facile de mettre des mots et des images sur l’histoire de votre frère dans votre BD ?Je n’ai jamais revu mon frère depuis mon arrestation en 1981. J’ai reçu la nouvelle de son exécution après six ans en prison, sans remettre sa dépouille ni informé où il est enterré.Pour rendre hommage à Ahmad et à ces milliers de jeunes qui ont sacrifié leur viepour la liberté, j’ai récolté des témoignages et publié la bande-dessinée Un petit prince au pays des mollahs.Un texte sans images n'aurait pas eu le même impact, surtout pour sensibiliser les jeunes lecteurs à la « page la plus sombre de l’histoire des violations des droits de l'homme en Iran ». Je veux rendre cette histoire engageante et mémorable pour tous.
Vous étiez journaliste sous Khomeini. Comment était la pratique sous son régime ?
J’ai travaillé pour le quotidien Moudjahid. En juin 1981 l’OMPI est devenue illégale et le journal a dû fermer. Par la suite, j'ai été chargée de fournir des rapports, des infos et des photos sur les exécutions du régime des mollahs.
Cette tâche s’est avérée dangereuse : j’ai été arrêtée le 13 septembre 1981 dans la rue. Ils me soupçonnaient d’être sympathisante des Moudjahidines. Ce simple soupçon a suffi : en dix minutes, j’ai été condamnée à 20 ans de prison.
Y a-t-il eu des progrès dans la pratique actuelle ?
Dans les dictatures, il n’y a pas de place pour une presse libre. Les seuls médias sont les outils de propagande du régime dictatorial. Les vrais journalistes risquent leur vie, et beaucoup ont été arrêtés ou sont portés disparus.
Même pour les journalistes des médias officiels, tout rapport ou information qui ne plaît pas au gouvernement ou à Khamenei les conduit à l’arrestation, la prison et la torture.
Vous êtes parvenue à vous échapper de votre cellule et du pays. Comment ?
Il s’agissait d’une prison de haute sécurité à Racht, sous le contrôle des Gardiens de la Révolution. S’évader semble alors n’être qu’un rêve. Une seule chose peut changer cette réalité tenace : la volonté de résister. Nous,
détenues, avons décidé d’envoyer un message en nous évadant.
Honnêtement, je ne pensais pas sortir vivante de cette opération. Mais nous voulions affirmer haut et fort qu’aucun mur, aussi imposant soit-il, ne peut contenir la détermination des Moudjahidines.
Vous a-t-on intercepté, ou sanctionné d’une manière ou d’une autre ?
Le régime s’est vengé sur ma famille et les filles de ma cellule. Elles ont été torturées et transférées dans d’autres prisons, avant d’être exécutées. Ils ont aussi arrêté ma mère qui avait un cancer. Faute de soin, elle est décédéepeu après sa libération. Mon frère avait été arrêté avant ma fuite, puis accusé de complicité dans mon évasion. Il a de nouveau été interrogé, torturé puis exécuté en 1988.
La situation a-t-elle changé aujourd’hui ?
Non. Après la mort de Khomeini en 1989, le régime fasciste religieux a survécu.
Khamenei a continué de diriger le pays en réprimant et en exécutant ses opposants politiques.
Malgré l’arrivée d’un président soi-disant « modéré », la répression continue et s’intensifie. Depuis l'entrée en fonction de Pezashkian fin juin 2024, au moins 300 exécutions ont eu lieu. Mais le peuple iranien continue à se battre... En 2022 le monde entier a admiré les femmes iraniennes qui veulent changer le régime. Elles savent très bien qu’elles n’obtiendront la liberté vestimentaire, l’égalité, et des droits qu’avec la chute de ce régime. Elles ont donc directement scandé « A bas le dictateur » et « A bas Khamenei ». Le désir des Iraniennes est de renverser ce régime misogyne dans sa totalité.
La communauté internationale a-t-elle un rôle à jouer ?
Le soulèvement des femmes a fait hésiter les pays occidentaux dans la politique d’apaisement avec l’Iran. Il faut montrer de la fermeté face au terrorisme d’État des mollahs. La communauté internationale doit conditionner ses relations avec l’Iran à l’arrêt immédiat des exécutions et des tortures et à l’inscription des Gardiens de la
Révolution sur la liste des organisations terroristes. Cela protégerait le peuple iranien mais aussi la région tout entière, de l’influence néfaste de ce régime.
Peut-on dire que vous aussi, vous vous battez toujours aujourd’hui ?
Je me bats pour le renversement du régime et un Iran libre et démocratique depuis des années. Je veux que tous les criminels qui ont tué des milliers de jeunes iraniens, dont mon frère, soient jugés et punis. Je suis membre du Conseil National de la Résistance Iranienne, qui rejette toute forme de dictature avec des propositions concrètes pour toutes les questions fondamentales de l’Iran : des élections libres, l’égalité des sexes et des ethnies,
l’abolition de la peine de mort, la séparation de la religion et de l’État, ainsi que la fin du programme nucléaire iranien. Malgré la répression brutale, la volonté des Iraniens reste intacte. Le régime tombera, ce n’est qu’une question de temps.
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