mardi 12 septembre 2023

De mon arrestation le 13 septembre 1981 à celle de Mahsa Amini le 13 septembre 2022

par Massoumeh Raouf

le 13 septembre 1981 est la date de jour que je n'oublirai jamais. le jour de mon arrestation par le régime des mollahs en Iran. 

Mais désormais, cette date coïncide avec un autre jour inoubliable. le 13 septembre 2022, arrestation de Mahsa Amini par la police des mœurs et sa mort tragique. 

voila extrait  de mon livre  Évasion de la prison d'Iran



Sixième carnet

 

Arrestation dans la rue Pamchal, à Racht

L’après-midi du 13 septembre 1981, aux environs de 15 heures, j’étais en route pour assister à la cérémonie de la commémoration d’une amie très proche qui venait d’être exécutée.

J’étais pressée. J’aurais dû arriver plus tôt.

Sousan Shademani, étudiante de 19 ans à l’Institut des Hautes études en infirmerie de Racht, était mon amie et nous avions milité ensemble jusqu’au 20 juin 1981. Elle était très belle et courageuse, passionnée et infatigable. Toujours souriante, pleine d’amour, d’énergie et de passion pour la vie. Elle a été exécutée deux ou trois jours après son arrestation. Une célérité incroyable des bourreaux!

Sousan Shademani a été arrêtée en pleine rue par des agents du régime dont elle avait éveillé les soupçons, en tant que sympathisante de l’OMPI. Elle avait résisté lors de son arrestation de toute sa force. En prison, Sousan fut brutalement torturée. Pourtant, pendant les longues heures de torture, elle n’arrêtait pas de scander des slogans contre les mollahs. Après la séance de torture, les sbires criminels de Khomeini la violèrent puis la firent fusiller par un peloton d’exécution.

J’avais vu sa mère la veille. Elle m’avait dit que rares étaient les parties de son corps sans traces de torture. Ses vêtements étaient en lambeaux et le médecin légiste avait déclaré qu’elle avait été sauvagement violée. D’un moral à toute épreuve, la mère de Sousan avait donné son accord pour une cérémonie d’hommage en me disant : «Je suis fière de ma fille qui a résisté à la torture et au peloton d’exécution, et qui laisse ainsi un héritage épique à travers son acte héroïque.»

La cérémonie devait se dérouler à leur domicile, rue de Pamchal à Racht. Je devais y représenter l’organisation de l’OMPI à la cérémonie. Je tenais fermement la feuille pliée du communiqué de l’OMPI dans mon poing, sans la moindre hésitation sur ce que j’avais à faire.

Ce n’était pas la première fois que je me rendais à une cérémonie d’hommage aux martyrs. Selon la tradition iranienne, les troisième, septième et quarantième jours après le décès, les familles organisent à nouveau une commémoration. Lors de ces cérémonies, après avoir lu en public le communiqué de l’OMPI rendant hommage au martyre, je scandais le slogan de «Mort à Khomeini» avant de quitter rapidement les lieux. Notre objectif était de briser le tabou de la peur et de la terreur instaurées par Khomeini. Notre participation équivalait à une opération militante. Des opérations non moins dangereuses que des opérations militaires! En tout cas, nous nous efforcions d’éclairer et de convaincre les gens effrayés et intimidés, en leur désignant le responsable de ces crimes inhumains. Nous devions faire passer le message des victimes qui avaient résisté à la barbarie des mollahs. 

Tandis que je révisais mes pensées et mon plan, j’approchais de la maison de Sousan et remarquais que la situation semblait inhabituelle. J’y étais déjà allée auparavant et je connaissais le quartier.

Il y avait une procession anormale de voitures et d’hommes en habit civil dans les environs. Des visages suspects apparaissaient çà et là.

Très vite, je compris que j’étais tombée dans un piège. Mon cœur battait la chamade et l’idée de ma capture et des tortures qui s’ensuivraient me traversa l’esprit. Il me fallut quelques secondes pour me résoudre à avancer vers les étapes suivantes. 

Je m’étais déjà préparée mentalement et je savais quoi dire dans le cas où je serais arrêtée par un Gardien de la Révolution ou par des mercenaires Bassidjis, avant la cérémonie. 

Alors que je pénétrais dans l’allée, juste à quelques mètres de la maison de Sousan, un Bassidji en habit civil venant de nulle part s’est soudainement approché de moi :

— Donne-moi ton sac, m’a-t-il dit. 

— Pourquoi? ai-je répondu de façon informelle.

— Nous te soupçonnons.

— Voilà mon sac, ai-je dit avec calme en le lui tendant d’un air indifférent.

Pendant qu’il fouillait mon sac, j’ai essayé d’avaler le papier du communiqué de l’OMPI que je devais lire lors de la cérémonie. Bien qu’écrit sur un papier très fin, il ne passait pas facilement. En fait, ce papier froissé était coincé dans ma gorge. 

En un clin d’œil, je me suis retrouvée entourée de pasdarans. Ils me soupçonnaient d’être sympathisante des Moudjahidines.

À l’époque, ce simple soupçon suffisait pour que l’on soit arrêté, torturé et exécuté. Ces criminels ne connaissaient pas de limites. Khomeini leur avait donné carte blanche. Il les avait rassurés par une fatwa :

«La vie, les biens et les proches des Hypocrites (OMPI) n’ont aucune valeur et personne ne sera tenu pour responsable s’ils meurent sous la torture.»

Combien ont perdu la vie sans avoir eu pour autant la moindre activité ou un passé politique, à cause du seul soupçon des pasdarans du régime?

Ils m’ont demandé de monter dans leur voiture pour aller au quartier général des Pasdarans. Cela signifiait mon arrestation et ma condamnation à mort. 

Donc, j’ai décidé de résister de toutes mes forces. J’ai protesté contre cette arrestation arbitraire et me suis mise à crier pour appeler à l’aide. J’étais submergée par le stress et la colère et mon cœur battait trop fort. J’étais rouge et j’avais très chaud. Mes efforts attirèrent des voisins et des gens du quartier autour de nous. Des dizaines d’hommes et de femmes ont quitté leur maison et sont descendus dans la rue. Tout le monde était inquiet.

Un voisin se détacha et hurla aux Gardiens de la Révolution qu’ils n’avaient aucun droit de m’emmener au poste des pasdarans, puis une autre s’approcha, elle tentait d’expliquer aux gardiens qu’elle me connaissait depuis longtemps et que je n’avais rien fait de mal, leur demandant de me laisser partir. 

Pendant que les gens se disputaient avec les Gardiens de la Révolution, j’en profitai; ma gorge était sèche et le papier froissé m’étouffait : «Un verre d’eau, s’il vous plaît», ai-je dit à une dame qui se tenait chez elle, à nous regarder.

Alors que des gardiens discutaient avec la foule, soudain l’un d’entre eux, un costaud, grand comme un gorille, m’a soulevée du sol. Je me suis trouvée face à ce gorille et dans ses bras. J’ai attrapé sa barbe que j’ai tirée de toutes mes forces. Il me relâcha, mais d’autres pasdarans se resserrèrent autour de moi. Pour disperser la foule, les pasdarans tirèrent en l’air à balles réelles. Ensuite, ils essayèrent de me faire monter de force dans leur voiture. J’ai été jetée à terre; les uns m’ont attrapée par les jambes pendant que deux autres me poussaient à l’intérieur. Je hurlais en agrippant le bas de la portière avec mes mains. Finalement, ils m’ont jetée dans la voiture et ont vite quitté la zone. Sur le siège arrière, j’étais entre les deux pasdarans qui m’avaient attrapée. La situation était extrêmement grave. L’un des pasdarans, le gorille, me frappa violemment au visage et passa son bras autour de mon cou en m’étouffant presque. Pour avoir une bouffée d’air, je lui ai mordu le bras de toutes les forces qui me restaient.

Maintenant, il essayait de libérer son bras, mais je ne lâchais pas.

— Sale hypocrite! Chienne! Chienne! criait-il en me frappant la tête.

Quelques minutes plus tard, j’ai pu apercevoir la rue depuis la fenêtre. Nous sommes passés devant la place Farhang. Je me suis dit que c’était peut-être la dernière fois que je la voyais. C’était juste avant le coucher du soleil. Après toutes ces années, je me souviens encore des couleurs tristes de ce coucher de soleil.


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