par Massoumeh Raouf
le 13 septembre 1981 est la date de jour que je n'oublirai jamais. le jour de mon arrestation par le régime des mollahs en Iran.
Mais désormais, cette date coïncide avec un autre jour inoubliable. le 13 septembre 2022, arrestation de Mahsa Amini par la police des mœurs et sa mort tragique.
voila extrait de mon livre Évasion de la prison d'Iran
Arrestation
dans la rue Pamchal, à Racht
L’après-midi
du 13 septembre 1981, aux environs de 15 heures, j’étais en route pour assister à la
cérémonie de la commémoration d’une amie très proche qui venait d’être
exécutée.
J’étais
pressée. J’aurais dû arriver plus tôt.
Sousan
Shademani a été arrêtée en pleine rue par des agents du régime dont elle avait
éveillé les soupçons, en tant que sympathisante de l’OMPI. Elle avait résisté
lors de son arrestation de toute sa force. En prison, Sousan fut brutalement
torturée. Pourtant, pendant les longues heures de torture, elle n’arrêtait pas
de scander des slogans contre les mollahs. Après la séance de torture, les
sbires criminels de Khomeini la violèrent puis la firent fusiller par un
peloton d’exécution.
J’avais
vu sa mère la veille. Elle m’avait dit que rares étaient les parties de son
corps sans traces de torture. Ses vêtements étaient en lambeaux et le médecin
légiste avait déclaré qu’elle avait été sauvagement violée. D’un moral à toute
épreuve, la mère de Sousan avait donné son accord pour une cérémonie d’hommage
en me disant : « Je suis fière de ma fille qui a résisté à la torture et
au peloton d’exécution, et qui laisse ainsi un héritage épique à travers son
acte héroïque. »
La cérémonie devait se dérouler à leur domicile, rue de Pamchal à Racht. Je devais y représenter l’organisation de l’OMPI à la cérémonie. Je tenais fermement la feuille pliée du communiqué de l’OMPI dans mon poing, sans la moindre hésitation sur ce que j’avais à faire.
Ce
n’était pas la première fois que je me rendais à une cérémonie d’hommage aux
martyrs. Selon la tradition iranienne, les troisième, septième et quarantième
jours après le décès, les familles organisent à nouveau une commémoration. Lors
de ces cérémonies, après avoir lu en public le communiqué de l’OMPI rendant
hommage au martyre, je scandais le slogan de « Mort
à Khomeini » avant de quitter rapidement les lieux. Notre objectif
était de briser le tabou de la peur et de la terreur instaurées par Khomeini.
Notre participation équivalait à une opération militante. Des opérations non
moins dangereuses que des opérations militaires ! En
tout cas, nous nous efforcions d’éclairer et de convaincre les gens effrayés et
intimidés, en leur désignant le responsable de ces crimes inhumains. Nous
devions faire passer le message des victimes qui avaient résisté à la barbarie
des mollahs.
Tandis
que je révisais mes pensées et mon plan, j’approchais de la maison de Sousan et
remarquais que la situation semblait inhabituelle. J’y étais déjà allée
auparavant et je connaissais le quartier.
Il y
avait une procession anormale de voitures et d’hommes en habit civil dans les
environs. Des visages suspects apparaissaient çà et là.
Très
vite, je compris que j’étais tombée dans un piège. Mon cœur battait la chamade
et l’idée de ma capture et des tortures qui s’ensuivraient me traversa
l’esprit. Il me fallut quelques secondes pour me résoudre à avancer vers les
étapes suivantes.
Je
m’étais déjà préparée mentalement et je savais quoi dire dans le cas où je
serais arrêtée par un Gardien de la Révolution ou par des mercenaires
Bassidjis, avant la cérémonie.
Alors
que je pénétrais dans l’allée, juste à quelques mètres de la maison de Sousan,
un Bassidji en habit civil venant de nulle part s’est soudainement approché de
moi :
— Donne-moi
ton sac, m’a-t-il dit.
—
Pourquoi ? ai-je répondu de façon informelle.
—
Nous te soupçonnons.
—
Voilà mon sac, ai-je dit avec calme en le lui tendant d’un air indifférent.
Pendant
qu’il fouillait mon sac, j’ai essayé d’avaler le papier du communiqué de l’OMPI
que je devais lire lors de la cérémonie. Bien qu’écrit sur un papier très fin,
il ne passait pas facilement. En fait, ce papier froissé était coincé dans ma
gorge.
En
un clin d’œil, je me suis retrouvée entourée de pasdarans. Ils me soupçonnaient
d’être sympathisante des Moudjahidines.
À
l’époque, ce simple soupçon suffisait pour que l’on soit arrêté, torturé et
exécuté. Ces criminels ne connaissaient pas de limites. Khomeini leur avait
donné carte blanche. Il les avait rassurés par une fatwa :
« La
vie, les biens et les proches des Hypocrites (OMPI) n’ont aucune valeur et
personne ne sera tenu pour responsable s’ils meurent sous la torture. »
Combien
ont perdu la vie sans avoir eu pour autant la moindre activité ou un passé
politique, à cause du seul soupçon des pasdarans du régime ?
Ils
m’ont demandé de monter dans leur voiture pour aller au quartier général des
Pasdarans. Cela signifiait mon arrestation et ma condamnation à mort.
Donc,
j’ai décidé de résister de toutes mes forces. J’ai protesté contre cette
arrestation arbitraire et me suis mise à crier pour appeler à l’aide. J’étais
submergée par le stress et la colère et mon cœur battait trop fort. J’étais
rouge et j’avais très chaud. Mes efforts attirèrent des voisins et des gens du
quartier autour de nous. Des dizaines d’hommes et de femmes ont quitté leur
maison et sont descendus dans la rue. Tout le monde était inquiet.
Un
voisin se détacha et hurla aux Gardiens de la Révolution qu’ils n’avaient aucun
droit de m’emmener au poste des pasdarans, puis une autre s’approcha, elle
tentait d’expliquer aux gardiens qu’elle me connaissait depuis longtemps et que
je n’avais rien fait de mal, leur demandant de me laisser partir.
Pendant
que les gens se disputaient avec les Gardiens de la Révolution, j’en profitai ; ma
gorge était sèche et le papier froissé m’étouffait : « Un
verre d’eau, s’il vous plaît », ai-je dit à une dame qui se tenait
chez elle, à nous regarder.
Alors
que des gardiens discutaient avec la foule, soudain l’un d’entre eux, un
costaud, grand comme un gorille, m’a soulevée du sol. Je me suis trouvée face à
ce gorille et dans ses bras. J’ai attrapé sa barbe que j’ai tirée de toutes mes
forces. Il me relâcha, mais d’autres pasdarans se resserrèrent autour de moi.
Pour disperser la foule, les pasdarans tirèrent en l’air à balles réelles.
Ensuite, ils essayèrent de me faire monter de force dans leur voiture. J’ai été
jetée à terre ; les uns m’ont attrapée par les jambes pendant que deux
autres me poussaient à l’intérieur. Je hurlais en agrippant le bas de la
portière avec mes mains. Finalement, ils m’ont jetée dans la voiture et ont
vite quitté la zone. Sur le siège arrière, j’étais entre les deux pasdarans qui
m’avaient attrapée. La situation était extrêmement grave. L’un des pasdarans,
le gorille, me frappa violemment au visage et passa son bras autour de mon cou
en m’étouffant presque. Pour avoir une bouffée d’air, je lui ai mordu le bras
de toutes les forces qui me restaient.
Maintenant,
il essayait de libérer son bras, mais je ne lâchais pas.
—
Sale hypocrite ! Chienne ! Chienne !
criait-il en me frappant la tête.
Quelques
minutes plus tard, j’ai pu apercevoir la rue depuis la fenêtre. Nous sommes
passés devant la place Farhang. Je me suis dit que c’était peut-être la dernière
fois que je la voyais. C’était juste avant le coucher du soleil. Après toutes
ces années, je me souviens encore des couleurs tristes de ce coucher de soleil.
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