/Rédaction - Maud Baheng Daizey
Près de trois
mois après le début de la révolte populaire iranienne, le régime théocratique a
décidé de mettre fin à la police des mœurs, présente sur le territoire depuis
2005. Les images des manifestations historiques continuent de faire le tour du
monde, transmises par les journalistes et les citoyens. L’Iranienne Massoumeh
Raouf, ancienne journaliste et ex-prisonnière politique du régime des mollahs,
revient pour l’Oeil de la MDJ sur l’influence cruciale des femmes sur les
manifestations d’aujourd’hui, ainsi que celle, plus ténue, de l’Occident sur le
gouvernement iranien.
Massoumeh Raouf a été arrêtée en septembre 1981 dans la rue. Pourquoi ? Elle était soupçonnée d’être sympathisante des Moudjahidines du peuple d’Iran par le régime, une accusation passible de torture et de mort, mais quotidienne dans le pays à cette époque. L’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran brave avec les armes le régime depuis près de 50 ans, et est devenu un courant politique et historique incontournable d’Iran. Massoumeh ne reverra jamais son frère, Ahmad Raouf, emprisonné la même année pour être un membre actif de l’Organisation, mais parviendra à contacter ses anciens compagnons de cellule afin de raconter son histoire.
Lors de son
arrestation, « le guide suprême du régime Khomeini avait
donné carte blanche à ses agents. Mon soi-disant “procès” n’a
duré que dix minutes et le tout – sans avocat ni juge – a été bouclé en un rien
de temps par un seul mollah, appelé “juge de la charia”. Sans
aucun droit à la défense, j’ai été condamnée à 20 ans de prison. J’avais 20
ans. »
Incarcérée,
Massoumeh s’évade en 1982 et devient un membre actif de la révolution à venir.
Elle rejoint la France en juin 1985, pays dans lequel elle vit encore
aujourd’hui et continue de militer pour la libération de l’Iran. Elle collabore
également avec Conseil National de Résistance iranienne depuis les années 80,
Conseil fonctionnant comme un gouvernement depuis l’étranger. Mais
en 1988 un nouveau drame vient endeuiller son avenir, celui de l’exécution de
son frère de 24 ans, à l’instar des 30.000 prisonniers
politiques iraniens cette année-là. Trente ans plus tard, toujours profondément
marquée par sa disparition, Massoumeh lui rendra hommage en 2018 à travers la
bande-dessinée « Un petit prince au pays des mollahs »,
relatant le parcours de son cadet et publiée en France.
Engagée dans
la « Campagne
du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988
», l’écrivaine se bat depuis de longues années pour faire
traduire en justice les auteurs des crimes contre l’humanité qui ont été commis
et qui sont commis en Iran en toute impunité.
Dans son
dernier livre « Évasion de la prison d’Iran »,
paru aux Éditions Balland en février 2022, elle relate son parcours engagé et
son évasion d’une prison de haute sécurité en 1982. Elle y décrit également la
situation explosive en Iran et la révolution à venir. Les événements qui
chamboulent la République islamique depuis le 16 septembre 2022, jour de la
mort de Mahsa Amini, prouvent la justesse de ses propos. Retour sur des
manifestations explosives et un régime liberticide.
La vie des journalistes iraniens en danger
Depuis le
début des mobilisations, les journalistes iraniens font face à une augmentation
des arrestations de leurs confrères et consœurs. L’écrivaine nous assure
que « les
journalistes risquent leur vie pour porter la voix du peuple, beaucoup ont été
arrêtés ou sont simplement portés disparus. » Le 16 septembre
2022, jour de l’arrestation de la kurde Mahsa Amini pour avoir laissé dépasser
une mèche de cheveux de son voile islamique, deux journalistes iraniennes
décident de couvrir l’évènement. Niloofar Hamedi (journal Shargh) et Elahe
Mohammadi travaillent
toutes les deux à Téhéran et se
sont rendues à l’hôpital Kasra de la capitale, où Mahsa Amini était soignée
après sa détention par la police des mœurs.
« Plus
tard dans la journée, et à peu près au moment de la mort d’Amini, Hamedi a
tweeté une photo des parents d’Amini en train de pleurer à l’hôpital. Cette
image s’est rapidement propagée avec les reportages d’Hamedi sur la mort
d’Amini », donnant naissance à des manifestations nationales
extraordinaires.
Malheureusement,
Hamedi a été arrêtée par les forces de sécurité le 21 septembre. Selon le
journal Shargh, deux autres reporter et photographe de ses locaux ont été
arrêtés. Ils sont aujourd’hui détenus à la tristement célèbre prison d’Evine.
« Il n’y a pas de liberté d’expression en Iran,
même pour les journalistes dans des médias officiels. Pour
tout rapport et information qui ne plaisent pas au gouvernement et au guide
suprême, arrestation, prison et torture les attendent. »
Les femmes, figure de
proue de la révolution iranienne
Si le peuple
soutient aisément les femmes journalistes (en particulier les jeunes
générations prônant l’égalité des sexes), « le régime et ses agents sont misogynes et
réactionnaires. Les femmes ont été les principales cibles de l’oppression et de
la discrimination du régime », mais elles ont développé des
armes et une grande résistance en accumulant des années d’expérience. Les
Iraniennes « ont également appris par expérience que leurs
droits ne se concrétiseront pas tant que ce régime sera en place »,
ce pourquoi elles battent le pavé, soutenues et saluées par la communauté
internationale. « Elles sont organisées, inspirées, pleines
d’abnégation et prêtes à apporter des changements fondamentaux »,
martèle Massoumeh Raouf.
« Les
femmes iraniennes sont l’avant-garde et la force du changement et vont
renverser ce régime, (…) le courage des femmes et des jeunes dans les rues de
l’Iran a émerveillé tout le monde », se réjouit notre
intervenante. « Malgré la répression, des
rassemblements continuent de se tenir quotidiennement dans les universités du
pays, des manifestations ont lieu dans
diverses provinces, des raffineries sont en grève, des lycéennes et des
collégiennes se photographient défiant le régime. Dans les universités, dans
les rues et sur les tombes de martyre, ils crient : « jurons sur le sang de nos
amis de résister jusqu’au bout. »
« La
nouvelle génération, cauchemar du régime »
Autre signe
révélateur de la résolution des manifestants, leurs slogans : “Mort
à Khamenei !” “Mort à l’oppresseur, qu’il s’agisse du Chah ou du guide
[suprême] !” “Liberté, liberté, liberté !” “Mort au principe du velayate faqih
[pouvoir clérical absolu] !” Les Iraniens n’avaient pas osé
s’exprimer en ces termes depuis plusieurs décennies. L’exemplaire organisation
de leur mobilisation est à mettre en exergue pour l’écrivaine iranienne.
« Malgré la répression, les unités de résistance
de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI) continuent de se
développer dans tout le pays », explique-t-elle au micro
de l’Œil de la MDJ. « Leurs activités comprennent la conduite de
protestations populaires et la destruction des symboles de répression du
régime. Ces unités, essentiellement composées de jeunes de la nouvelle
génération, filles et garçons, sont le cauchemar du régime »,
se réjouit Massoumeh
Raouf.
« Les
femmes et les jeunes iraniens font progresser le mouvement de protestation
chaque jour et chaque heure, malgré une répression massive et brutale, au prix
de leur vie, de leur santé et de leur liberté. Ils endurent la torture et
diverses formes de mauvais traitements, y compris des viols répétés, dans des
prisons sales et surpeuplées, sans nourriture suffisante et avec des contacts
limités avec leurs familles. » L’écrivaine revient également
sur la violence de la répression à même les rues, arguant que « des
agents agressent sexuellement des jeunes femmes dans les rues, d’autres en
civil enlèvent des manifestants en plein jour. D’autres
encore kidnappent des étudiants dans leur dortoir au beau milieu de la nuit,
tandis que certains mobilisés sont battus jusqu’à ce qu’ils se rendent. »
Mais rien n’arrête pour autant les citoyens, dont la plupart n’ont plus rien à
perdre.
Une situation
que Massoumeh Raouf a elle-même vécu et qu’elle a relaté dans ses livres.
Elle affirme avoir voulu écrire non pas pour « simplement faire une œuvre littéraire »,
mais parce que cela « faisait partie de ma lutte pour la justice et
pour attirer l’attention du public sur la terrible situation dans mon
pays. Depuis deux mois, en plus de 600 manifestants tués, plus de 30 000
personnes ont été arrêtées et jetées en prison. Leur
moyenne d’âge est de 20 ans et sont en majorité des étudiants, certains mineurs.
Les détenus sont battus, parfois à mort, violés et torturés. »
Les arrestations sont accompagnées de procès expéditifs et parfois des peines
de mort.
Des
emprisonnements aussi arbitraires que les libérations, comme ce fut le cas le
soir du match Iran-Pays de Galles à la Coupe du Monde le 25 novembre
dernier : suite à la victoire des Iraniens, les autorités avaient
annoncé la libération de 700 manifestants.
Le 6 novembre
2022, le Parlement iranien vote un texte pour
pousser la justice à
appliquer la « loi du talion » envers les
manifestants, à 227 voix pour contre 63. Dans un communiqué signé par la
majorité des députés, ces derniers ont comparé les manifestants à l’Etat
Islamique et les ont qualifiés « d’ennemis
de Dieu » méritant la mort. De
son côté, l’Autorité judiciaire iranienne a annoncé que des procès se tiendront
pour les milliers de personnes arrêtées durant les manifestations. Neuf
condamnations ont par ailleurs déjà été prononcées.
L’influence peu exploitée
des Nations unies et de l’Occident
Les Iraniens
ne sont pas obligés de se battre seuls pour leurs libertés, loin de là. Pour
Massoumeh et les milliers de manifestants, le soutien de la communauté
internationale est indispensable. 30 000 personnes risquent ainsi leur vie
et « les
Nations unies doivent prendre des mesures urgentes pour aller visiter les
prisons du régime. Ils doivent renvoyer le dossier des violations
des droits humains par ce régime devant le Conseil de sécurité de l’ONU et au
Tribunal international spécial », et y inclure « le
meurtre atroce d’une
soixantaine d’enfants et
adolescents par les pasdarans (NDLR :
les gardiens de la Révolution) du guide suprême Ali Khamenei et
le massacre de prisonniers politiques en Iran. »
Jamais le
peuple iranien ne pourra bénéficier d’un élargissement de ses libertés sans un
changement de régime. D’autres mesures doivent être prises pour aider les
femmes à faire tomber le régime : « les
femmes iraniennes ont besoin de la solidarité et du soutien du monde entier,
de voir les ambassades du régime iranien fermer, les relations diplomatiques et
économiques avec le régime rompues. Ce régime devrait être expulsé des Nations
unies, il n’est pas représentant du peuple iranien. »
Pour
Massoumeh, une alternative démocratique au régime théocratique existe :
Maryam Radjavi, présidente du Conseil national de la Résistance Iranienne
(CNRI). « Elle possède un programme politique déjà
défini qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Le CNRI milite en
faveur d’élections libres permettant au peuple iranien de se choisir des
représentants politiques dignes, à l’opposé de la dictature religieuse que nous
subissons. »
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