Propos recueillis par Martin Pimentel
23
septembre 2022
Du Kurdistan à
Téhéran, des manifestations ont éclaté en Iran, suite à la mort en détention
d’une étudiante arrêtée par la police des mœurs la semaine dernière. La
répression est sévère, et de nombreux manifestants ont déjà été tués. Massoumeh
Raouf, Iranienne en exil, ancienne journaliste et ex-prisonnière politique du
régime des mollahs, analyse la situation et veut croire que le régime est aux
abois.
Causeur. Que sait-on exactement des circonstances de la mort de la jeune Mahsa
Amini, survenue vendredi dernier ? Qu’est-ce que la police lui reprochait ?
Mahsa Amini, une jeune fille de 22 ans
originaire de Saqqez, dans la province du Kurdistan, s’était rendue à Téhéran
avec son frère, et elle a été arrêtée par une patrouille du vice le mardi 13
septembre, alors qu’elle sortait de la station de métro Haqqani. La police de
mœurs des Mollahs lui reprochait d’être mal voilée. Malgré les efforts de son
frère pour empêcher l’arrestation, la malheureuse a été emmenée au service
répressif connu sous le nom de « sécurité des mœurs ». Au site Internet
IranWire, son frère a déclaré qu’alors qu’il l’attendait à l’extérieur du
commissariat, il a vu une ambulance en sortir et l’emmener à l’hôpital. Il dit
avoir été alors informé qu’elle avait fait une attaque cardiaque et cérébrale
et qu’elle était dans le coma. « Il ne s’est déroulé que deux heures
entre son arrestation et son transfert à l’hôpital, a-t-il déclaré,
annonçant son intention de porter plainte. Je n’ai rien à perdre. Je ne
laisserai pas les choses ainsi sans protester». Cette nouvelle s’est
rapidement propagée sur les réseaux sociaux. La photo de Mahsa Amini dans
l’unité de soins intensifs de l’hôpital est devenue virale et a provoqué une
vague de colère et de protestation et solidarité avec sa famille. Si bien qu’un
groupe de jeunes de Téhéran s’est rapidement rassemblé devant l’hôpital. Le
régime a alors tenté d’éviter la vague de protestations en reportant l’annonce
officielle de la mort de Mahsa. Le vendredi 16 septembre, les autorités ont
finalement annoncé la nouvelle, elle serait selon elles morte d’une crise
cardiaque pendant le cours d’éducation dans les locaux de la police morale. Sa
famille a rejeté cette affirmation, affirmant que Mahsa était en parfaite
santé.
La version de la famille est-elle crédible ?
Des femmes qui avaient également été
arrêtées et qui se trouvaient dans la même camionnette que Mahsa Amini ont
déclaré qu’elle avait été battue dans la voiture ! Lorsqu’elles sont
arrivées au centre de détention de Vozara, Mahsa Amini était donc déjà en
mauvais état mais elle était encore consciente. Les agents du centre de
détention ont cependant ignoré son état. Quand elle s’est effondrée, elle a été
transférée à l’hôpital de Kasra. Les médecins et le personnel de l’hôpital de
Kasra ont déclaré que Mahsa Amini ne présentait plus aucun signe de vie et
était en état de mort cérébrale à son arrivée à l’hôpital. De plus, les images
du scanner divulguées par l’hôpital montrent que Mahsa Amini a été frappée à la
tête et a souffert d’une hémorragie cérébrale. Ces documents réfutent
l’affirmation absurde du régime !
La
révolte actuelle est l’expression d’un ras-le-bol total face à l’oppression,
d’un haut-le-cœur trop longtemps contenu. Elle surgit brusquement, comme une
éruption volcanique, par effraction et sans se soucier des codes
Suite à ce meurtre, et suite aux
protestations des Téhéranais contre ce crime, les forces de sécurité voulaient
enterrer le corps de Mahsa, de nuit, dans sa ville natale à Saqqez. Face à la
résistance de la famille, elles ont dû faire marche arrière et l’enterrer aux
premières heures du matin samedi dernier. Elles voulaient empêcher la foule
d’assister aux funérailles. Dès les premières heures de la matinée, samedi 17
septembre, des agents du renseignement et des forces de sécurité ont bloqué les
entrées de Saqqez pour empêcher les gens de participer à la cérémonie
funéraire. Mais des milliers de personnes se sont rassemblées dans le cimetière
principal en scandant « à bas le dictateur ! », « ce
dingue de guide est une honte », « à bas Khamenei !» ou «
gouvernement d’exécution, les crimes ça suffit ». Après l’inhumation de
Mahsa, les gens ont manifesté devant le gouvernorat local aux cris de «
je tuerai celui qui a tué ma sœur » et « ordures,
ordures ! ». Ils ont affronté les agents de sécurité et anti-émeutes,
les forces répressives ont tiré sur la population et lancé des gaz
lacrymogènes, et plusieurs manifestants ont été tués et blessés depuis. Depuis,
les manifestations se sont propagées dans toutes les villes d’Iran. Cette
colère locale a pris une dimension nationale, et est toujours en
cours.
Même si ce drame exceptionnel a abouti à la
mort, ce type d’affaires entre la police des mœurs et de jeunes Iraniennes
est-il courant ?
Non. Ce n’est pas de tout un cas
exceptionnel ! Le meurtre brutal de Mahsa n’est ni le premier ni le
dernier crime de ce régime. L’Iran compte des dizaines de millions de filles et
de femmes comme Mahsa, opprimées par un régime misogyne. C’est une tragédie à
laquelle les femmes iraniennes sont confrontées chaque jour. Réprimer les
femmes sous le prétexte du hijab n’est en rien une nouveauté, depuis les débuts
de Khomeiny et du fascisme religieux. Mais sous le mandat de Raïssi [le
président de la République d’Iran depuis août 2021 NDLR], les violations des
droits humains se sont considérablement aggravés. On observe dans le pays une
montée de la répression des femmes dans le cadre d’un décret médiéval intitulé
« chasteté et voile » qui est le symbole de la répression de tout un
peuple. Je me réjouis de la réaction de la société iranienne au meurtre de
Mahsa Amini, cela montre que la rage de la nation contre l’ensemble de
l’establishment au pouvoir est profonde. C’est une frustration de quatre
décennies qui éclate avec force. Nous n’assistons pas à un acte émotionnel
temporaire, selon moi.
Le régime a selon vous couvert des
agissements répréhensibles de la police. Le régime est-il inquiet ?
Le régime, dirigé par des mollahs, est un
régime idéologiquement misogyne. Depuis leur arrivée au pouvoir, les mollahs
ont fait des femmes leur cible privilégiée sur lesquelles est édifié tout leur
système de répression. Et la police, ce sont les mercenaires du régime :
ils appliquent l’ordre et les lois de cette dictature. Le peuple iranien
déteste la police et les forces militaires du régime autant qu’il déteste les
mollahs.
Quelle est l’ampleur des manifestations
actuelles ?
C’est une énorme vague de colère et de
révolte nationale qui s’étend depuis le 17 septembre. Avec plus de 8 millions
de publications sur les réseaux sociaux, la photo et le nom de Mahsa Amini ont
largement circulé et ont été le sujet le plus tendance des derniers jours sur
Internet. Mahsa Amini a fait la une des journaux en Iran, et aussi dans le
monde. Des personnalités internationales et des artistes ont exprimé leur
soutien à Mahsa et à toutes les femmes iraniennes. Même les Nations Unies ont
demandé une enquête sur cet assassinat arbitraire. En réaction, le fascisme
religieux iranien a coupé Internet et un massacre en silence et à huis clos a
commencé. En perturbant et coupant Internet et en fermant les réseaux sociaux,
le pouvoir veut empêcher la propagation du soulèvement et l’envoi des
informations à l’étranger. Le monde doit condamner cette censure et réclamer un
accès libre à internet.
La révolte actuelle est l’expression d’un
ras-le-bol total face à l’oppression, d’un haut-le-cœur trop longtemps contenu.
Elle surgit brusquement, comme une éruption volcanique, par effraction et sans
se soucier des codes. La résistance et la combattivité des femmes et des jeunes
démontrent que le peuple iranien refuse désormais de se taire et que beaucoup
sont déterminés à renverser le régime cruel des mollahs. Oui, en Iran, le
courage ressemble à une femme qui ne se laisse pas faire!
Du nord au sud, et d’est en ouest, des
villes se révoltent. La vague de colère et de protestation s’est propagée à
plus de 100 villes dans 28 des 31 provinces d’Iran. Amnesty International a
déjà recensé la mort de six hommes, d’une femme et d’un enfant lors des
manifestations des 19 et 20 septembre. Des clips et des vidéos des
manifestations inondent les réseaux sociaux comme un déluge et ont montré des
scènes étonnantes de courage.
Est-ce complètement spontané? Quels sont
les groupes à la manœuvre?
C’est une véritable colère du peuple contre
la tyrannie des mollahs. La révolution en Iran pourrait bien être en marche.
Malgré la répression sanglante, le régime des mollahs n’arrive pas l’étouffer
comme avant. Khamenei et son régime sont dans une impasse létale, et ne peuvent
pas résoudre les crises croissantes à l’intérieur et l’extérieur du pays. Les
étudiants protestataires de Téhéran ont déclaré dans un communiqué : «
Le meurtre barbare de Mahsa Amini est le symbole de 44 ans de répression et de
sauvagerie. Un jour, les assassins de Mahsa et de toutes les victimes des
quatre dernières décennies, qui ont élevé leur palais d’oppression sur le flot
du sang du peuple, seront livrés à la justice de la nation »… Malgré
la répression, les unités de résistance de l’Organisation des moudjahiddines du
peuple iranien (OMPI) continuent de se développer dans tout le pays. Leurs
activités comprennent la conduite de protestations populaires et la destruction
des symboles de répression du régime. Le rôle de ces unités de résistance dans
l’organisation et l’expansion de ce soulèvement est indéniable. Ces unités,
essentiellement composées de jeunes de la nouvelle génération, filles et
garçons, sont le cauchemar du régime. Les responsables du régime l’avouent d’ailleurs
à demi-mot. Ils savent bien que, au-delà de Mahsa Amini, c’est le régime qui
est visé. Mohammad Qalibaf, le président du parlement des mollahs, a déclaré en
séance le 20 septembre: « L’ennemi a mis comme à son habitude à l’ordre
du jour de créer des troubles et le chaos dans le pays. Malheureusement,
certains dans le pays suivent volontairement ou non la direction voulue par
l’ennemi. Mais notre cher peuple a montré son intelligence politique et n’a pas
coopéré et ne coopérera pas avec les moudjahiddines qui ont
autrefois tué des milliers de gens ordinaires et qui aujourd’hui demandent des
comptes pour la mort d’une personne. » Le même jour, le
gouverneur de Téhéran, Mohsen Mansouri, a écrit dans la soirée, sur
Twitter: « Les principaux éléments des premiers noyaux des
rassemblements de ce soir à Téhéran étaient entièrement organisés, entraînés et
planifiés pour créer le désordre à Téhéran. Déverser du gasoil sur la voie,
lancer des pierres, attaquer la police, mettre le feu à des motos et des poubelles,
détruire des biens publics, etc. Ce n’est pas l’affaire des gens ordinaires » …
Vous portez vous-même le voile.
Assiste-t-on ces derniers temps à un refus généralisé de porter le voile parmi
ces femmes qui manifestent (c’est ce dont certains rêvent en Occident) ?
Ceux qui mettent le feu à leur foulard sont
contre l’hijab obligatoire et toutes les lois répressives contre les femmes.
Elles veulent la liberté de choix. Ni hijab obligatoire, ni non-hijab
obligatoire.
Cette question est historique en Iran. Par exemple, pendant la dictature de
Reza Chah, ne pas porter le hijab était obligatoire, ce qui a entraîné une
forte réaction de la société contre la monarchie.
Je rappelle la position de la résistance iranienne pour l’avenir de l’Iran sur
les femmes, qui est résumée dans le plan en 10 points de Maryam Radjavi,
présidente de la Résistance iranienne : « Égalité complète des femmes
et des hommes dans les droits politiques, sociaux, culturels et économiques.
Participation égale des femmes à la direction politique. Abolition de toute
discrimination. Droit des femmes de choisir librement leur tenue vestimentaire,
leur mariage, leur divorce, leurs études et leur profession. Interdiction de
toute exploitation des femmes sous n’importe quel prétexte ». C’est
aussi mon point de vue.
Avec la guerre en Ukraine, l’Occident
n’est-il pas en train de se détourner du Moyen-Orient, et d’oublier
l’inquiétante course à la bombe de Téhéran ?
Je dois reconnaitre que la politique des
pays occidentaux envers l’Iran est très décevante, malheureusement. Je ne sais
pas combien de temps les pays occidentaux comptent encore faire des compromis
avec pareils criminels !
Les Européens comprennent bien la guerre en
Ukraine, la Russie a envahi l’Ukraine. Mais ils ne comprennent pas que les
mollahs fascistes occupent l’Iran depuis plus de 40 ans. Le régime des mollahs
est l’allié de la Russie et un soutien de Poutine dans la guerre en Ukraine.
Les peuples d’Iran, d’Ukraine et d’Europe ont donc un ennemi commun. Maintenant
que les Ukrainiens résistent, ils sont nos amis et alliés, ils comprennent bien
la résistance iranienne. L’Europe et l’Occident devraient adopter une politique
ferme vis-à-vis du régime iranien. Même pour l’épineux dossier nucléaire, sans
une politique ferme, ils n’iront nulle part. « La Résistance iranienne
met en garde la communauté internationale contre toute concession aux mollahs.
Cela revient à poignarder dans le dos le peuple iranien, et à se ranger aux
côtés d’un régime qui s’effondre » rappellait dernièrement Maryam
Radjavi.
https://www.causeur.fr/en-iran-le-regime-entame-un-massacre-en-silence-et-a-huis-clos-242847
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Un petit prince au pays des mollahs
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Journaliste et écrivaine,
ex-prisonnière politique du régime des mollahs en Iran. Membre de la Société
des Gens de Lettres (SGDL) et Membre du Conseil national de la Résistance
iranienne (CNRI). Son nouveau livre « Évasion de la prison d’Iran » est sorti en
février 2022 chez les Éditions Balland.
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